Pire que le diable en personne mais avec une geule d\\\'ange. ~Sheey {En cours}

Lundi, mardi, mercredi, jeudi… Les jours s’allongent indéniablement et se ressemblent toujours plus dans leur folie constante.
Vendredi, samedi, dimanche, le vague souvenir des jours passés dehors nous rendent fou de désir d’y retourner et retrouver un train de vie qualifié de « normal » par autrui. Je sentais passer les jours comme l’eau de la pluie sur mon corps, l’eau des douches. Le temps m’était devenu un terme non pas abstrait, mais tout simplement réel et palpable. On tournait en rond, ici. On continuait à évoluer dans un monde dans lequel on avait voulu figer le temps. Le Centre avait voulu arrêter le temps. Ici, tout était figé dans une éternelle insalubrité. Sauf nous, pensionnaires, qui changerions dans un monde immobile. Idée paradoxale, quand on y pense. J’étais seule. Comme d’habitude. A vrai dire, mon apparence n’aidait pas à me rendre plus sympathique d’apparence, avenante. La faute à qui ? Mon corps se refusa à penser à son nom, l’évoquant par un puissant tremblement qui secoua mon échine. Je plissais les yeux, voulant oublier. Comme si j’avais pu oublier ses mains me frappant, son air dément et… la douceur dont il avait fait preuve. Son regard.
Arrête, tu fabules ! Arrêtes de délirer ! Je délirais, oui, je délirais et la Louve en moi le hurlait à grand renfort d’insultes proférées à l’égard d’Uriel. Je tremblais encore pour ce qui m’avait fait. Au-delà des coups s’entend. Le plus perturbant c’était qu’en brisant toutes mes résistances et me mettant K.O par un jour de pluie, après un sadisme notable et une détermination rare, il avait su faire partir toutes ces forces parasites qui bataillaient en moi, quand lui était là. Face aux autres je restais la même fille hésitante, prête à basculer sous le contrôle de la Louve aussi bien que sous celui de cette foutue bête albinos. Quel monde étrange dans lequel nous vivons. On aurait pu me qualifier de maso pour avoir enduré les coups avec une telle résistance dans un premier temps, mais finalement il n’en fut rien : j’avais craqué, affaiblie et à moitié morte sous les coups. D’où les bleus que je cachais d’autant plus.
Allongée dans l’herbe sèche, la terre craquelée, je n’avais pas quitté le centre à proprement parler, restant à l’intérieur des bâtiments. La cour intérieure m’avait suffit, me réservant un petit endroit entre angelots mourants et semblant de bancs qui s’effondraient sur eux-mêmes. Corps offert au soleil, je ne bougeais pas. Depuis combien de temps étais-je ici ? Une heure, deux ? Je n’en savais rien, le temps filait et je le sentais passer, avec l’atténuation latente de ma douleur. Un fin sourire étira mes lèvres comme un soleil vint réchauffer ma peau glacée. Mon cœur battait à une allure sereine, fait raréfié depuis que j’étais arrivée ici, passant mon temps sur le qui-vive dans l’attente des prochains sales coups.

L’humanité était pourrie. Et la crème de cette pourriture se trouvait dans ce centre. On voulait qu’on s’entretue pour que, lentement et sûrement, il ne reste plus un seul d’entre nous. Ca marchait plutôt bien vu les cris de douleurs, les morts inexplicables, nous faisant nous interroger sur notre propre futur. « A qui le tour ? » semblaient demander les autres pensionnaires, se dévisageant avec une curiosité morbide. Un type, quelques jours plus tôt, était arrivé dans ma direction et, à la vue de mes bleus et zones du visage gonflées, m’avait demandé qui avait voulu me tuer. Me tuer. Oui on avait voulu me tuer, mais une fois de plus la Camarde s’était révélée être mon amie, refusant de m’emporter de l’Autre Côté, me vouant à la vie. Bonne chose ou mauvaise chose ? Je secouais la tête dans un rire : je me prenais trop la tête. J’étais en vie, c’était le principal, après tout, et plus personne n’avait quoi que ce soit à dire à ce sujet-là. Il fallait que j’en profite. Mon rire mourut sur mes lèvres quand j’entendis brusquement des pas arriver dans ma direction. Je me redressais légèrement sur mes coudes, dans l’instant. Et regardai. Une tête qui passe, comme flottante au dessus de la haie plus ou moins verte qui me séparait du nouveau venu. Les traits que je contemplais ne me disaient rien, je lisais juste la perplexité la plus totale sur son visage. Ah. Un nouveau, pas encore sevré de sa vie à l’extérieur. Il ne semblait pas m’avoir remarqué, aussi ai-je décidé de ne pas me manifester et retourner à ma sieste sous un soleil mourant. Il ne bougeait pas, moi non plus, seul l’un de nous semblait conscient de la présence de l’autre, et c’était très bien comme ça. Je n’aimais pas les hommes, on le savait autour de moi. Leur parler m’était possible, dans une certaine mesure, mais le moindre contact de leur part me laissait terrorisée et renfermée sur moi, à défaut de créer une vague de violence incroyable qui me poussait au meurtre. Non, je n’étais pas une gentille fille. Pas tout le temps. Le soleil mourut, vaincu par le temps qui laissait sa place à la lune. Le ciel s’assombrit avec les secondes sans que personne ne sente la fin du combat du soleil qui disparaissait dans les arbres, au loin. Je sentis nettement le froid arriver, vent doux et frais qui s’insinuait sous nos vêtements, humide mais encore modéré en ce début de printemps. Le nouveau, lui, ne bougeait pas. Il était toujours immobile, je voyais sa chevelure dépasser de derrière un buisson non loin de nous. Me redressant en silence, j’enfilais la vague chemise qui avait pour tâche de me tenir chaud – le réussissant plus ou moins bien – et me dirigeai vers la cour intérieur, droit vers le jeune homme, tout en silence. J’attendis peu, derrière lui, et me penchais en avant subitement, apparaissant dans son champ de vision en le regardant, gratifiant mon entrée dans son monde par un petit :

Bouh

Je n’avais pas l’air menaçant, on en peut pas dire ça. Juste un peu timbrée. D’ailleurs je l’étais. C’était la raison de ma présence ici. Ne lui laissant pas le temps de répondre, je contournais le banc sur lequel il était assis, un sourire le moins agressif que possible. Je savais que les nouveaux étaient toujours sur le qui-vive, leurs premiers jours. C’était normal. Entamant un début de discussion, fait rare chez moi, je pris une voix posée pour demander :

Tu ne rentres pas ? La nuit va tomber, on sait jamais qui on peut croiser à ces heures là.